La plupart sinon toutes les galaxies massives abritent un trou noir supermassif (TNSM) en leur centre, pesant des millions, voire des milliards de fois la masse de notre Soleil. Les TNSM en fonction de la quantité de matière à leur voisinage sont dits soit dormants (au repos) pour des taux d’accrétion extrêmement faibles ou absents (par exemple, Sgr A*, au centre de notre Galaxie), soit actifs (noyaux actifs de galaxies, AGN) pour des taux d’accrétion faibles à très élevés.
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Les noyaux actifs de galaxies (AGN) : études en rayons X des processus d'accrétion et d'éjection
Les AGN, environ 10 % de toutes les galaxies, sont les sources astrophysiques persistantes les plus brillantes de l’Univers et leur activité maximale se produit à un décalage cosmologique d’environ 2-3. Leur émission électromagnétique provient principalement d’un disque d’accrétion autour du TNSM, et dans certains cas de la matière peut être expulsée sous forme de jets relativistes et/ou de vents. Les observations aux rayons X sont idéales pour sonder la matière très proche du TNSM. Dans ce cadre, nous utilisons les observations de missions spatiales complémentaires XMM-Newton (ESA), Chandra, NuSTAR et Swift (NASA) pour effectuer une analyse spectrale et temporelle de ces objets. L’accrétion très proche du TNSM se présente principalement sous la forme d’un disque d’accrétion froid (pic d’émissivité dans l’UV) et d’une couronne chaude (T~10^9 K). Les observations en rayons X permettent de sonder la physique, la géométrie et la dynamique de la matière en accrétion ou en éjection de la partie interne du système disque-couronne. De plus, des travaux théoriques ont montré que la distribution du moment cinétique des TNSM est la signature de l’impact de la fusion des galaxies et du mode d’accrétion des TNSM (continu versus chaotique). Étant donné que la mesure du moment cinétique des TNSM dépend du modèle physique appliqué, il est primordial de déterminer au préalable le processus dominant (Comptonisation versus réflexion relativiste sur le disque). Pour réaliser de telles études, nous appliquons une modélisation très récente qui prend en compte les différents processus physiques et la géométrie du système disque-couronne.
Dans environ la moitié des AGN (radio-fort et radio-silencieux), les signatures d’absorption dans les spectres de rayons X, proches de 8-10 keV, ont révélé la présence d’éjections ultra-rapides (v ~ 0,1-0,3 c) supposées être des vents relativistes éjectés par la partie interne du système disque-couronne. Leurs énergies cinétiques semblent être suffisamment grandes pour impacter la galaxie hôte et sont donc des candidats solides pour expliquer la relation étroite entre les masses des TNSM et les propriétés du bulbe de leurs galaxies hôtes (masse, luminosité et dispersion stellaire). Leurs études sont donc d’une grande importance pour comprendre le processus de rétroaction entre les TNSM et leur galaxie hôte, et l’évolution des galaxies en général.
Dans un futur proche, le lancement de calorimètres à bord de XRISM (JAXA, 2023) et d’Athena (ESA/L2, 2034) va révolutionner le domaine de la spectroscopie X permettant de diagnostics de plasma (densité, température, distribution électronique, processus non-thermiques,…) inédits pour les AGN mais aussi pour de nombreux types d’objets : des étoiles aux amas de galaxies.
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Etudes multi-messagers (ondes gravitationnelles, neutrinos et rayons cosmiques)
1. Les AGN des sites possibles de production de neutrinos et de rayons cosmiques
Les blazars sont des AGN qui présentent un noyau radio brillant et de jets relativistes pointant vers la Terre, où une puissante accélération des rayons cosmiques peut se produire à des énergies extrêmement élevées. Leur distribution énergétique spectrale est caractérisée par deux composantes : une à basse énergie allant de la radio aux rayons X et une à plus haute énergie allant des rayons X aux rayons gamma de très haute énergie. La première composante est généralement attribuée au rayonnement synchrotron dans le jet relativiste par une population non thermique d’électrons et de positrons accélérés ; tandis que l’origine de la deuxième composante est encore débattue. Dans le scénario leptonique, cette deuxième composante est due au processus inverse de Compton entre les électrons et un champ de photons de basse énergie (leur propre rayonnement synchrotron, ou photons externes), tandis que dans le scénario hadronique, elle provient de l’émission synchrotron par les protons et les rayonnements secondaires de particules où la désintégration des pions chargés donne lieu à une émission de neutrinos.
Dans ce cadre, en étroite collaboration avec le CPPM (Marseille), nous étudions la possible relation entre la détection de neutrinos grâce au détecteur KM3NeT (situé dans les abysses méditerranéens) et les contreparties électromagnétiques des Blazars.
2. Les trous noirs supermassifs binaires (fusions de galaxies) : études en rayons X et des ondes gravitationnelles.
L’astrophysique multi-messagers – combinant des informations provenant des émissions électromagnétiques, des ondes gravitationnelles, des neutrinos et des particules de rayons cosmiques – est apparue au cours de la dernière décennie comme un champ d’étude fournissant des informations uniques et précieuses sur les propriétés physiques et les processus de l’Univers. Depuis la première détection directe de fusions d’objets binaires compacts de masses stellaires avec les interféromètres au sol à ondes gravitationnelles, LIGO et VIRGO, nous avons désormais accès à l’étude multi-messagers de ces sources astrophysiques (caractéristiques physiques et populations).
En 2037, LISA (ESA/L3), le premier observatoire spatial d’ondes gravitationnelles (mHz), permettra de détecter les fusions des TNSM jusqu’à décalage gravitationnel d’environ 20. Les deux grandes missions de l’ESA, Athena et LISA, offriront une vision sans précédent des TNSM à travers l’histoire de l’Univers : leurs précurseurs, les processus d’accrétion et d’éjection autour des TNSM binaires pendant leur phase spiralante et leur coalescence, leurs masse et la valeur de leurs moments cinétiques avec un remarquable précision de 1 %. Depuis 2018, l’équipe GECO participe à la préparation scientifique de la mission LISA et au développement des synergies entre Athena et LISA.
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Événement de perturbation par effet de marée: une réactivation temporaire de TNSM
La plupart des TNSM présents dans les régions centrales des galaxies sont dits dormants ou au repos. Ils ont peu (ou pas) de matière dans leur voisinage et ne peuvent donc émettre un signal électromagnétique suffisant pour être détectés, contrairement aux AGN. Cependant, ces objets peuvent redevenir actifs lorsque la trajectoire d’une étoile les croise dans leur rayon de marée, leur fournissant suffisamment de matière d’accrétion pour révéler leur présence. Cet apport exceptionnel de matière produit une émission électromagnétique intense, qui peut durer plusieurs mois, le temps que tous les débris soient digérés par le TNSM.