Les détecteurs et les plans focaux innovants sont des développements cruciaux pour permettre aux observatoires astronomiques de faire le prochain saut. La réduction du bruit de lecture, l’augmentation de l’efficacité quantique, la mise en œuvre de détecteurs de grand format à faible bruit, ainsi que de détecteurs courbes, font partie des principaux défis à relever. De plus, la mise en forme des faisceaux avant le plan du détecteur est une étape fondamentale qui peut bénéficier des développements innovants sur les optique free-form et de nouvelles méthodes de conception optique.
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Caméra OCAM à faible bruit
Pour la première fois, un bruit de lecture inférieur à l’électron a été obtenu avec une caméra dédiée aux applications de détection du front d’onde en astronomie. Le système OCam a démontré cette performance à une fréquence d’images de 1300 Hz et avec une taille d’image de 240 × 240 pixels. L’ESO et JRA2 OPTICON ont conjointement financé e2v Technologies pour développer un CCD personnalisé pour les applications de détection du front d’onde par optique adaptative (AO). Le dispositif, appelé CCD220, est un capteur compact de 240 × 240 pixels à huit sorties rétroéclairées et à transfert d’images, refroidi par effet Peltier, utilisant la technologie EMCCD. Une deuxième version de l’OCam, appelée OCam2, a été conçue pour offrir des performances accrues, un boîtier de caméra complètement scellé et un étage Peltier supplémentaire pour faciliter le fonctionnement sur un télescope ou les applications difficiles sur le plan environnemental. Ce développement instrumental aura un fort impact sur les performances des systèmes d’OA les plus avancés à venir.
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CCD à faible niveau de lumière : détecteur de qualité scientifique L3CCD
Le CCD282 est un grand capteur d’imagerie à faible niveau de lumière (L3 – Electron multiplying CCD) développé par e2v technologies pour l’Université de Montréal. L’utilisation prévue est le comptage de photons et l’imagerie à très faible niveau de lumière. Le dispositif sera utilisé sur l’instrument 3DNTT qui est un interféromètre Fabry-Perot à balayage. Il est également prévu de placer un dispositif sur un télescope de classe 10m pour une application Fabry-Perot à balayage. Ce capteur est le plus grand dispositif CCD multiplicateur d’électrons produit à ce jour avec une architecture de transfert de trame éclairée par l’arrière de 4kx4k. Le capteur utilise 8 sorties amplifiées parallèles EM (Electron Multiplying) pour maximiser le débit. La charge induite par l’horloge (CIC) est inférieure d’un ordre de grandeur à celle des dispositifs précédents grâce à une conception spécifique optimisée pour les opérations de comptage de photons.
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Détecteur naturel d'étoiles guides pour l'optique adaptative : NGSD
Le succès de la prochaine génération d’instruments pour les télescopes de la classe ELT dépendra de l’amélioration de la qualité des images par l’exploitation de systèmes d’optique adaptative (OA) sophistiqués. L’un des composants critiques des systèmes d’OA pour l’E-ELT a été identifié comme étant le détecteur optique WFS de laser/étoile guide naturelle. La combinaison d’un grand format, 1760×1680 pixels de 24 μm pour échantillonner finement le front d’onde et l’élongation du spot des étoiles guides laser, d’une fréquence d’images rapide de 700 images par seconde (fps), d’un faible bruit de lecture (< 3e-) et d’un QE élevé (>90%) rend le développement de ce dispositif extrêmement difficile. Les études de conception ont conclu qu’un imageur CMOS rétroéclairé hautement intégré construit sur du silicium à haute résistivité était la technologie la plus susceptible de réussir. Deux générations de l’imageur CMOS sont en cours de développement : a) le NGSD, déjà conçu et fabriqué, un dispositif pionnier de la taille d’un quart de 880×840 pixels capable de répondre aux besoins de première lumière de l’E-ELT ; b) le LGSD, un dispositif plus grand de taille normale. La conception détaillée est présentée, y compris l’approche consistant à utiliser un parallélisme massif (70 400 ADC) pour obtenir un faible bruit de lecture à des taux de pixel élevés de 3 Gpixel/s et l’interface série LVDS à 88 canaux, 220 Mbps, pour obtenir les données numérisées hors puce.
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Détecteurs sensibles au spectre
Jusqu’à présent, les détecteurs dans le visible et l’infrarouge ne sont pas sensibles à la longueur d’onde incidente. Pour réaliser des images colorées, multispectrales ou hyperspectrales, les solutions étaient d’ajouter des filtres, ce qui est largement utilisé avec la méthode bayer sur les imageurs commerciaux, d’utiliser des structures CMOS verticales comme le capteur FOVEON X3 ou d’utiliser différents matériaux avec différentes longueurs d’onde de coupure (capteurs bispectraux utilisés dans l’infrarouge par exemple). L’inconvénient de ces méthodes est qu’elles utilisent des méthodes de rejet pour déterminer les longueurs d’onde des photons. Par conséquent, le nombre de bandes de détection est généralement fixé à un petit nombre, leur résolution spatiale est dégradée en conséquence, et la sensibilité globale est diminuée. Notre développement utilise une approche différente utilisant des photodiodes à avalanche (APD) et présente un haut degré de polyvalence. Lorsqu’un photon est absorbé dans la région d’avalanche de l’APD, le gain varie avec la profondeur d’absorption. Comme la profondeur d’absorption dépend de la longueur d’onde du photon, un tel système couplé à un amplificateur de comptage de photons permet de déterminer la longueur d’onde du photon avec une mesure d’amplitude de la diode de sortie. L’effet a été démontré avec des photodiodes en silicium à élément unique. Brevet FR2968836(B1), US2013335742(A1), WO2012080256(A3)
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Détecteurs courbes et déformables
Jusqu’à présent, les détecteurs ont été fabriqués avec une forme plane, en utilisant les procédés de fabrication standard de l’industrie microélectronique. Mais cela contraint l’optique de premier plan. De plus, la représentation d’un champ de vision sphérique sur un dispositif planaire est très difficile pour les grands champs de vision. Il est possible de relâcher les contraintes de l’optique d’imagerie en utilisant un plan focal incurvé. Le défi consiste alors à courber le détecteur électronique pour l’adapter à la forme du plan focal. Cela est possible en amincissant le détecteur et en le collant sur un substrat élastique courbe ou à courbure variable avec le procédé approprié. Cette méthode a été démontrée pour divers dispositifs visibles et infrarouges, y compris les matrices infrarouges à plan focal extrêmement complexes. Le défi consiste maintenant à déterminer précisément les limites de la méthode et à développer un procédé à l’échelle industrielle pour rendre ces dispositifs largement disponibles. Brevet en cours de dépôt. Contacts au CEA-LETI.
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Les composants MOEMS
Les composants MOEMS ont la capacité de façonner entièrement la lumière incidente en terme d’intensité ou de sélection d’objets avec les fentes programmables, en terme de phase ou de contrôle de front d’onde avec les micro-miroirs déformables, et finalement, en terme de spectre avec les réseaux de diffraction programmables. Ces trois types de composants sont développés et étudiés au LAM pour des applications en spectroscopie multi-objets, en correction de front d’onde (optique adaptative) et pour des spectrographes programmables.
Le LAM s’appuie sur des collaborations étroites avec des laboratoires de micro-technologies européens, tout particulièrement avec le LAAS à Toulouse, l’EPFL à Neuchâtel (Suisse) et le CSEM (Suisse), pour la conception et la réalisation des composants.
A titre d’exemple (Fig. 1), nous avons développé avec l’EPFL et pu faire fonctionner un premier prototype européen de micro-miroirs orientables, MIRA, à des températures cryogéniques de 162K et sous vide. La mesure interférométrique de la surface des miroirs montre son excellente qualité à cette température et en fonctionnement (Fig. 1). La deuxième génération est en cours de réalisation avec des matrices comprenant jusqu’à 20 000 micro-miroirs de 100×200µm2, en Silicium monocristallin.
L’ensemble des caractérisations s’effectue au LAM sur les bancs que nous avons conçus et mis en œuvre, dont un banc interférométrique ayant une précision de mesure sub-nanométrique et un banc de caractérisation opérationnelle pouvant simuler un champ d’observation astronomique.
En 2017, nous avons mis en fonction pour la première fois un miroir déformable de type MOEMS (composant américain Iris-AO) à 160K et sous vide, pour pouvoir maîtriser le front d’onde incident à l’entrée de nos futurs instruments au sol (instruments infra-rouge) et dans l’espace. En utilisant les moyens de test décrit pour MIRA, nous avons développé au LAM les algorithmes permettant au composant de fonctionner optimalement à 293K et à 160K : nous avons atteint un best flat de 10nm rms à 293K ; à 160K, le miroir se déforme de plus de 500nm PtV ; nous ramenons le best flat à 12nm rms en utilisant notre procédure.
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Instrumentation à base de composants MOEMS : la famille BATMAN
La formation et l’évolution des galaxies, la physique stellaire, la détection et la caractérisation d’objets du système solaire, tous ces défis peuvent être relevés avec une nouvelle génération d’instruments pour l’astrophysique. Dans ces familles d’instruments, les spectro-imageurs jouent un rôle-clé car ils permettent d’accéder simultanément à la photométrie et à la spectroscopie des scènes observées. Nous développons actuellement au LAM une telle classe d’instruments, utilisant plusieurs technologies de rupture comme des matrices de micro-miroirs (MMA) pour la sélection d’objets et des réseaux de diffraction sur des substrats convexes. Nous avons surnommé cette nouvelle génération de spectro-imageurs BATMAN (Fig. 2).
Son démonstrateur, ROBIN, a été entièrement développé et intégré au LAM. Il a permis de démontrer les capacités exceptionnelles de cet instrument. Le montage de notre instrument sur le Telescopio Nazionale Galileo (TNG) italien de 3,6m aux îles Canaries, permettra des découvertes astrophysiques remarquables. Les retombées de ce projet à plus long terme seront sur des télescopes au sol (Gemini de 8m de diamètre, en 2026) ou dans l’espace.
Nous avons également décidé d’équiper le VLT, télescope européen de 8m de diamètre au Chili, d’une nouvelle version de BATMAN, BATMAN@MAVIS, aux performances inégalées dans le monde ; il sera placé derrière MAVIS, le nouveau système d’optique adaptative multi-conjuguée dans le visible.
Ces travaux s’effectuent dans le cadre de nombreux projets nationaux et internationaux avec des observatoires en Italie, Grande-Bretagne et Espagne, sur des financements des organismes de recherche nationaux, des agences spatiales (CNES, ESA), de l’Europe, ainsi que la Région Provence-Alpes-Côte d’Azur (Région SUD) et le Conseil Départemental des Bouches-du-Rhône.
Les avancées en optique-photonique pourraient avoir des retombées plus larges dans le domaine de l’instrumentation optique pour l’Observation de la Terre depuis l’Espace, ou dans les domaines de la physique et de la biologie.